Les mots particules

Der­rière le miroir d’Alice se trouve un vaste bois très sombre – « l’anonymommable forêt » du lin­guiste René Jorgen –, où les choses n’ont pas de nom…

Inquiète à l’idée de perdre son nom, Alice hésite un ins­tant à péné­trer dans le bois, puis s’aventure :
En tout cas, ma foi, dit-elle bra­ve­ment, c’est bien agréable, après avoir eu si chaud, de péné­trer dans le… dans la… dans quoi ?
Sur­prise d’avoir oublié le nom, elle tente de s’en sou­ve­nir :
Je veux dire, de se trou­ver sous le… sous la… sous ceci, voyez-vous bien ! dit-elle en met­tant la main sur le tronc d’un arbre. Com­ment diable est-ce que cela s’appelle ? Je crois vrai­ment que ça n’a pas de nom… Mais, voyons, bien sûr que ça n’en a pas !

Et tandis qu’Alice tente de s’y retrou­ver : Et main­te­nant, qui suis-je ?, Alberto Man­guel, grand lec­teur de ses aven­tures, pose cette ques­tion en forme d’énigme : Alice doit-elle se rap­pe­ler ces noms oubliés ou doit-elle les fabri­quer, tout neufs ? – et cette autre, quelques pages plus loin : Et qu’entendons-nous par un « nom » ?

Alberto Man­guel, Dans la forêt du miroir, Actes Sud, 2000
Lewis Car­roll, De l’autre côté du miroir