Une licorne

On se donne de la peine pour moi. Je vous remer­cie, mes­dames et mes­sieurs, je vou­drais vous le rendre en ten­dresse et civi­lité ; mais vous seriez tou­jours là et c’est cela qui m’est falaise à pic, mou­li­net à broyer l’ombre, outrance insup­por­table d’une bonté armée de griffes de corail. Je trouve de plus en plus pénible de com­pli­quer l’existence d’autrui, mais il ne reste aucune île déserte, aucun bos­quet mal famé, pas même un petit enclos pour m’y enfer­mer et, de là, vous regar­der sous le jour de l’alliance. Est-ce une faute, ô terre peu­plée d’épines, que d’être une licorne ?

Julio Cor­ta­zar, Dis­cours du pince-gueule 

Cinq licornes – Illus­tra­tion extraite de l’His­toire géné­rale des drogues, publiée par Pierre Pomet en 1694.