Une licorne
On se donne de la peine pour moi. Je vous remercie, mesdames et messieurs, je voudrais vous le rendre en tendresse et civilité ; mais vous seriez toujours là et c’est cela qui m’est falaise à pic, moulinet à broyer l’ombre, outrance insupportable d’une bonté armée de griffes de corail. Je trouve de plus en plus pénible de compliquer l’existence d’autrui, mais il ne reste aucune île déserte, aucun bosquet mal famé, pas même un petit enclos pour m’y enfermer et, de là, vous regarder sous le jour de l’alliance. Est-ce une faute, ô terre peuplée d’épines, que d’être une licorne ?
Julio Cortazar, Discours du pince-gueule