Ô Ophélia !
Les dernières fleurs du jardin en méli-mélo sur la grande table de l’atelier. Et parmi elles, – mais peut-être ne la voyez-vous pas, elle est si pâle –, Ophélia qui chante. Très intéressés, Delacroix, Redon, Millais et quelques autres se sont approchés… tiens, j’aperçois même le très demandé, le très décoré Cabanel…
Shakespeare chante :
« There is a willow grows aslant a brook
That shows his hoar leaves in the glassy stream
There with fantastic garlands did she come
Or crowflowers, nettles, daisies, and long purples
That liberal shepherds give a grosser name
But our cold maids to « dead men’s fingers » call them.
There, on the pendent boughs her coronet weeds
Clambering to hang, an envious silver broke,
Fell in the weeping brook. Her clothes spread wide,
And mermaid-like a while they bore her up,
Which time she chanted snatches of old lauds,
As one incapable of her own distress,
Or like a creature native and indued
Unto that element. But long it could not be
Till that her garments, heavy with their drink,
Pull’d the poor wretch from her melodious lay
To muddy death. »
Hamlet, Act IV, Scene VII
Au-dessus du ruisseau penche un saule, il reflète
dans la vitre des eaux ses feuilles d’argent
Et elle les tressait en d’étranges guirlandes
Avec l’ortie, avec le bouton d’or,
Avec la marguerite et la longue fleur pourpre
Que les hardis bergers nomment d’un nom obscène
Mais que la chaste vierge appelle doigt des morts.
Oh, voulut-elle alors aux branches qui pendaient
Grimper pour attacher sa couronne florale ?
Un des rameaux, perfide, se rompit
Et elle et ses trophées agrestes sont tombés
Dans le ruisseau en pleurs. Sa robe s’étendit
Et telle une sirène un moment la soutint,
Tandis qu’elle chantait des bribes de vieux airs,
Comme insensible à sa détresse
Ou comme un être fait pour cette vie de l’eau.
Mais que pouvait durer ce moment ? Alourdis
Par ce qu’ils avaient bu, ses vêtements
Prirent au chant mélodieux l’infortunée,
Ils l’ont donnée à sa fangeuse mort.